lundi 14 mai 2007





Samouraï aux mains d'argent


Week-en en expédition d'autobus, routes entre villes et villes
pour destination sud et festival de sculpture d'arbres nains.
Curiosité toute pour des pratiques que je décidais selon mon habitude de lire comme multiples et tout interprétable avec des codes a inventer, car à ma disposition aucun mode d'emploi de la pensée pour cet art en première découverte.
Arrivée sur place entrée payée et bracelet magnétique de papier jaune au bras,( je devais remarquer par la suite qu'il y avait d'autres équipes de spectateurs, les bracelets rouges par exemple) je me dirigeais vers l'amphithéâtre des opérations, ou plusieurs maîtres donnaient leurs talents en démonstration dans une tempête de flashs d'appareils photo et un parterre d'admirateurs hypnotisés.
Je crois avoir compris que chaque maître s'était vu attribuer un arbre nain hirsute mal fagoté en résumé pas présentable. Sa tâche consistait alors a rendre a ce malheureux inextricable, un aspect harmonieux, une pose savamment naturelle tout en étant l'aboutissement extrême d'un long processus de mutation. Ainsi par de complexes micro opérations, tel petit rameau était raccourci, tel autre lié par une spirale faite d'une sorte de fibre de bois très malléable. Tout ceci exécuté avec une rapidité maîtrisée par un oeil sûr, les gestes s'enchaînants sans la moindre hésitation. J'ai revu ainsi défiler en surimpression-mémoire un " Edwa rd aux mains d'argent" taillant, coiffant, modelant à vitesse éclair toutes les végétations, chiens et bourgeoises des parcs et jardins a portée de ciseaux. Et je ne peux m'empêcher de coller ici une longue parenthèse pour citer une des répliques qui m'enchante le plus dans l'histoire du cinéma, lorsque l'ambassadrice des produits de beauté Avon découvre Edouard orphelin solitaire dans le grenier de son château natal, et voyant ses mains où en guise de doigt se trouvent des lames de ciseaux, elle s'écrie : "oh mon Dieu mais qu'est ce qui vous est arrivé" ? et Edward de lui répondre avec un naturel un peu teinté de tristesse : " je suis pas terminé ".
Ici c'était Uruchida Nobouichi aux mains d'argent qui polarisait toute mon attention, sa dextérité, l'absence d'hésitation dans ses gestes, et je décidais donc d'essayer d'atteindre la même concentration dans mon observation de sa chorégraphie étonnante.
Son visage un spectacle a lui seul concentré d'intériorité, dialogue avec le végétal qui l'occupait et qu'il semblait a la fois combattre avec la fermeté d'un samouraï tout en l'effleurant a peine de ses petits ciseaux papillons voletant sans relâche autour du buissonant conifère nain.
Et puis tout a coup aussi soudainement que tous ses gestes le sculpteur d'arbres posa ses instruments, s'inclina devant l'arbre puis le public et quitta la salle sous des tonnerres d'applaudissements que j'accompagnais avec le même enthousiasme, lâchant mon appareil photo, emportée et contemplant le petit arbre solitaire au centre de la scène fascinant d'une aura aussi vaste qu'un séquoïa.

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