mercredi 6 juin 2007




Mondes Flottants


En route pour trouver un restaurant traditionnel ( la terrasse est en forme de bateau). Là m'attends une amie rencontrée dans un centre culturel français où elle a pour mission d'enseigner notre langue aux étudiants de plusieurs facultés, je me perds dans les réseaux de transports en commun. Mon anglais volatile me fait à nouveau défaut, à bout de patience je me cause à haute voix " m... comment on dit correspondance déjà ?" plus soupir en découragement. Tranquillement un monsieur à côté de moi me dit avec un sourire "Yokosô" puis dans un total français qu'il serais tout à fait heureux de pouvoir m'aider. Trop contente, je lui explique mon histoire de restaurant dans le quartier de la vieille ville et tout en me proposant de le suivre puisqu'il se rends à sa boutique située non loin de là, la conversation se déplie. J'apprends qu'il est le propriétaire d'un magasin de papier traditionnel proposant un grand choix de "washi", importés principalement de la région d' Echizen. Quand à moi je lui résume mes trajectoires aléatoires, les raisons fuyantes de ma présence au Japon et comment elles résultent d'un impulsif détournement de destination. Faisant mention de la ville de kaunas en Lituanie où je devrais me trouver en ce moment il garde un silence emporté, je regarde son visage s'éloignant en recherche de quelque information et me dit que peut être ce nom évoque plus pour lui que pour moi. Il file une expression cherchant à localiser un souvenir ou un fragment en dérive dans l'espace mémoriel. Finalement j'apprends qu'outre sa passion du papier et ses nombreuses déclinaisons aussi riches que le langage qu'ils peuvent acceuillir, il est aussi un grand amateur de philatélie et en particulier sa collection s'attache à illustrer l'histoire du Japon à travers le monde. Ainsi Kaunas en Lituanie serait lié à l'histoire du Japon au travers d'un de ses consuls nommé Sugihara, son histoire ayant fait l'objet de l'édition de plusieurs timbres et de me décrire avec une précision époustouflante, le premier édité en 1998 par l'état d'Israel, le second par le Japon en 2000, un autre par la Lituanie en 2004, et d'autres encore par la Guinée...
et aussi l'existence de l'astéroïde numéro 25893 portant son nom et découvert en 2000 par l'astronome canadien William Kwong Yu Yeung. Il me conseilla encore si je souhaitais en savoir plus à ce sujet de me rendre sur l'île de Yaotsu, où se trouve un mémorial consacré à son histoire puis m'indiquant à quelques pas le restaurant de mon rendez-vous s'éloigne me souhaitant un séjour " de monde flottant" à l'image de cette rencontre.

Arrivée à mon rendez vous gastronomique, la conversation s'entame depuis le récit de mon providentiel guide et se poursuit sur la façon dont nous sommes nous voyageurs immensément démunis dans notre immersion en pays inconnu, lourdement harnachés de notre oxygènes et masques de plongé au milieu de milliers de poissons agiles et chatoyants dont nous ne pouvons qu'admirer la subtilité des déplacements l'aisance naturelle et dansante des rythmes entre lenteurs méditative et pulsations effrénées de mégalopoles.
Dès le lendemain je décidais d'entreprendre le yoyage de Yaotsu.





Visas pour la vie



Destination : Yaotsu ; préfecture de Gifu, sur l'île principale de Honshu.
Motifs : visite du centre consacré à la mémoire du Consul Chiurne Sugihara.


C'est là que j'apprit enfin l'histoire de l'homme aux timbres celui qui envoya par son action courageuse le nom de Kaunas jusqu'au Japon et dont un astéroïde promène le patronyme dans les espaces inter-stellaires.
Né le 1er janvier 1900, dans une famille Samouraï de Yaotsu, il est formé et diplômé d'un prestigieux centre japonais d'experts de l'union soviétique. Nommé directeur aux affaires étrangères au Mandchouko, il devient quelques temps plus tard le premier consul japonais que connaît la Lituanie, chargé par son pays d'y récolter des informations concernant les mouvements de troupes soviétiques et allemandes dans la région de la Baltique.
En 1940, de nombreux juifs fuyant la Pologne se retrouvent en Lituanie que vient d'annexer l'union soviétique. Leur seule chance de quitter l'Europe en guerre est la fuite à travers l'union soviétique vers le Japon qui permet le transit via son territoire aux possesseurs d'un visa pour un pays tiers.
Un réfugié Polonais dont l'épouse était Hollandaise, fut avisé par l'ambassadeur des Pays-Bas que l'entrée dans certaines colonies ne relevait pas d'un visa mais d'un permis de séjour délivré par un gouverneur local. Avec l'aide de l'ambassadeur Hollandais de kaunas qui aposait la mention " aucun visa n'est nécessaire pour Curaçao et le Surinam et celle de Sugihara pour les visas permettant l'accès au Japon de nombreuses personnes parvinrent à fuir l'Europe.
Ainsi pendant presque un mois en août 1940 le Consul Japonais Chiune Sugihara et son épouse sans fléchir, restent assis à signer des visas, heures après heures jours après jours.
Ils en rédigent plus de trois cent quotidiennemnt, ce qui représente en temps normal plus d'un mois de travail pour un consul. Yukiko sa soeur participe également à ce travail. On lit qu'à la fin de leurs journées ils se prodiguaient des massages afin de soulager leurs mains. Rarement le consul acceptait de s'arrêter sa femme assurant avec des sandwichs pendant sa tâche. Il avait décidé de ne pas perdre une minute vu le nombre de personnes qui étaient massées devant le consulat jour et nuit dans l'espoir d'obtenir un pareil document. Quelques fois il fallait qu'il interrompe son travail pour calmer et rassurer les personnes qui tentaient de grimper par dessus les grilles du consulat. Promettant que tant qu'il resterais une seule personne sans visa il ne mettrais pas fin à son effort et qu'aucun d'entre eux ne serais abandonné.
Après avoir reçu leurs visas les réfugiés devaient sans perdre de temps monter dans un train à destination de Moscou, puis emprunter le trans-Sibérien jusqu'à Vladivostock. Arrivés là nombre d'entre eux poursuivirent leur voyage jusqu'à Kobe, où ils obtinrent l'autorisation de demeurer durant quelques mois, avant de se diriger vers d'autres pays acceptant de les acceuillir.
Chiurne Sugihara dont les initiatives personnelles déplurent à son ministère de tutelle à Tokyo fut contraint de démissionner. Réhabilité après de nombreuses années de disgrâce et de solitude lui et sa famille, se virent reconnus pour l'exemplarité de leur action dans les années 90. Un monument destiné à leur rendre hommage se trouve maintenant devant moi et de nombreux timbres et commémorations lui son dédiées.